Pas de bruit ne vient troubler ma quiétude. De temps en temps, une voiture passe dans la rue, comme une glissade. Le ciel est ennuagé et laisse passer quelques gouttes de pluie dont le sol manque cruellement. Un dimanche qui ne m’a pas invité à présenter mes livres lors d’un salon rural organisé par des amis. Alors je profite de ce calme pour reposer mes méninges fatiguées par tant d’années de labeur.
Je me rappelle mon premier jour de présence à mon travail. C’est un mardi, car l’étude est fermée le lundi, mais ouverte le samedi. À l’époque, début des années soixante, le travail se fait sur quarante heures la semaine. Je ne sais rien faire et j’ai tout à apprendre. Pour ce faire, qui a-t-il de mieux que les cours par correspondance, en plus du labeur de la semaine ? Je n’hésite pas un seul instant, je m’y consacre pleinement. Je vais avoir ce rythme pendant douze-treize années, jusqu’à l’obtention de mon diplôme d’aptitude aux fonctions de notaire.
Cette assiduité n’a pas empêché les amusements et divertissements, ni les déménagements. Dans mon bled du Poitou, j’ai guinché, organisé un bal public, créé un orchestre qui n’a pas eu le succès escompté. Mais on a beaucoup ri. La période en Eure-et-Loir se révèle plus sérieuse, travailleuse, difficile aussi. Puis, la conquête de Paris est arrivée pendant de nombreuses années. Le travail assidu qu’il est nécessaire d’avoir compte tenu des responsabilités accordées par les patrons n’empêche pas de faire des bringues. Combien de fois ne m’est-il pas arrivé de passer la nuit en sortie avec des amis pour reprendre ensuite le travail après une douche, le matin du jour suivant ? Je ne suis pas mort.
Plus tard, devenu beaucoup plus sérieux, marié avec des enfants, Orléans m’a appelé pour une installation en tant que notaire. J’ai pris une autre dimension professionnelle avec des responsabilités au niveau de la profession desquelles je n’ai pas à rougir, me semble-t-il ?
Je n’ai jamais pu m’intégrer dans le monde qui m’était proposé et je ne suis plus dans celui qui m’a vu naître. C’est peut-être ce que l’on appelle être déraciné ?
Mais personnellement, je ne crois pas avoir beaucoup changé. Je n’ai pas toujours bien vécu dans ce monde où il faut beaucoup paraître pour exister. J’ai toujours été partagé entre et dans cette dualité. Je le suis encore d’ailleurs. Il est difficile de changer, j’allais dire, de classe. Il est difficile d’oublier ses origines et surtout de s’en défaire. Je ne sais pas faire. Je n’ai jamais pu m’intégrer dans le monde qui m’était proposé et je ne suis plus dans celui qui m’a vu naître. C’est peut-être ce que l’on appelle être déraciné ?
Comme ce n’est pas très facile, j’ai certainement voulu compliquer les choses en désirant laisser une trace autre que les actes que j’ai reçus. Alors, oui, j’écris des romans historiques, des romans de fiction, de la poésie. J’ai même pris un pseudo. J’ai découvert un autre monde. Le monde du livre est lui aussi un monde particulier et j’y navigue très mal. Les codes changent selon le genre de livre. Par exemple, la poésie est un monde en soi, avec ses règles.
Je tiens à ma liberté. Je ne veux être inféodé à personne. Cela joue des tours, parfois même des tours de con.
Je dois avoir un esprit indépendant, rétif, car dans ce monde-là je m’intègre mal également. Je ne sais pas faire non plus. Je préfère me taire plutôt que mentir. J’ai toujours voulu avoir la possibilité de dire non, surtout à un client. Je ne fais donc partie d’aucun parti, d’aucune association ni d’aucune coterie.
Il faut dire que je détiens un atout contre-productif. Je tiens à ma liberté. Je ne veux être inféodé à personne. Cela joue des tours, parfois même des tours de con. Je ne le crie pas sur les toits. Je préfère être petit chez moi que grand chez les autres. C’est ma seule richesse, mais j’y tiens !
Je crois qu’il est trop tard que mon ambiguïté change. Je mourrai avec !
© 19 mars 2023 – Jean-Louis Riguet, Membre de la Société des Gens de Lettres.
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